La culture n'est pas un bijou de famille
Août est le mois du congrès mondial acadien, un congrès qui se tient tous les cinq ans et qui a pour but de célébrer la culture et la résilience acadiennes. Mais est-ce que c'est vraiment de même qu'on célèbre une culture?
Fred Arnaud
9/25/20244 min read
Le 15 août se tenait le congrès mondial acadien. Pour ceux et celles d’entre vous qui ne sont pas familiers avec cet événement et qui pourraient, erronément, croire qu’il s’agit d’une réunion de sages sur l’avenir de l’identité acadienne, laissez-moi vous éclairer.
Le congrès mondial acadien est un événement qui prend place tous les cinq ans quelque part en Acadie (une région historique qui recouvre les provinces maritimes canadiennes ainsi que la Louisiane). Lors de cet événement, il y a bien sûr des conférences et des événements culturels, mais le moment fort des festivités se déroule le 15 août, il s’agit du tintamarre.
Faire du bruit pour exister
Le tintamarre démarre à 17 h 55, en mémoire de la sinistre année 1755, au cours de laquelle des milliers d’Acadiens, francophones et catholiques, ont été déportés en masse pour faire de la place pour les nouveaux colons, anglophones et protestants.
Au cours de ce tintamarre, les participants sont appelés à faire le plus de bruits possible pour démontrer qu’ils sont toujours là, malgré des siècles d’oppression et d’errance. L’ambiance est à la fête, chacun parade en affichant ses couleurs acadiennes. Les drapeaux acadiens, ornés d’une étoile symbolisant ce traumatisme commun, fleurissent sur les maisons et dans les mains des participants, fiers de se retrouver, comme si le grand dérangement n’avait été qu’une parenthèse.
Je n’ai, bien évidemment, aucun problème avec la célébration d’une fierté retrouvée, avec cette exubérance de survivant qui clame haut et fort l’inefficacité du colon à l’effacer pour de bon. Je dirais même que tout ça me plaît. Non, là où le malaise commence à s’immiscer en moi est le moment où je m’aperçois que cette culture, cette identité qui tonne dans les rues, n’existe pratiquement plus que là, dans la rue, une fois tous les cinq ans.
Cherchez l'erreur
Outre la mer de têtes blanches qui trahissent toujours une culture qui disparaît peu à peu, faute d’avoir réussi à attirer leurs jeunes, ce qui résonnait fort dans la rue était l’absence du français qui avait cédé sa place à cette langue plus commode et plus sexy qu’est l’anglais.
Je me retrouvais là, comme un cave, écoutant d’un bord les célébrations de gens qui disaient avoir résisté et, de l’autre bord, les mots de cette culture assimilatrice qui avaient tenté de les faire disparaître et le tout, provenant de la même bouche.
Je discutais avec quelques participants, d’abord en français, par orgueil personnel, puis quelques fois en anglais quand la puissance de cette langue s’avéra avoir été trop puissante face à la culture acadienne pour que ses porteurs de drapeaux l’ignorent.
Certains me confiaient, à travers toute leur fierté acadienne, que leur père n’avait pas osé imposer le français à la maison, que, par souci pratique, ce serait la langue de la mère, celle qui permettrait de trouver du travail, qui serait transmise aux enfants. Et, dans le même élan, ils m’avouèrent s’être mariés entre Acadiens. Mais attention, entre Acadiens qui parlent anglais entre eux malgré le fait que les deux s’étaient rencontrés dans l’école unilingue francophone qu’ils avaient fréquentée durant toute leur scolarité.
Cette ineptie n’empêchait aucun d’entre eux d’agiter fièrement leurs couleurs et de clamer haut et fort la lutte dont ils étaient issus et leur survivance face à un colonialisme qui, visiblement, avait réussi à remiser leur culture et leur langue au rang d’artefact.
Sauf que la culture n'est pas un bijou de famille
Une culture ne peut pas se vivre une fois aux cinq ans, une culture n’est pas cette chose que l’on garde dans un placard, bien à l’abri pour se souvenir de ce qu’on a été, il y a longtemps.
La culture ça se vit à chaque jour. Tous les jours. Sinon, ça meurt, ça se flétrit et ça prend la poussière. Il ne suffit pas d’être fier pour la conserver, tous ces peuples que vous voyez, tous ceux qui se sont éteints, ils étaient tous fiers, à quelques près. Ils ont tous crevé, fièrement, un drapeau dans la main et une langue étrangère dans la bouche.
Une culture, c’est fatigant, c’est quelque chose pour laquelle on doit se battre au quotidien, c’est cette chose qui demande de l’intégrité, une denrée devenue rare de nos jours. C’est cette chose qui fait qu’on s’obstine avec des gens, avec plein de gens, ceux qui ont essayé de nous la voler, mais aussi parfois des membres de notre propre groupe. Plusieurs sont beaucoup trop satisfaits de la traiter comme un bijou de famille, en la mettant dans un petit écrin qu’on ressort à l’occasion pour impressionner nos invités, comme un objet de curiosité, comme une trace un peu honteuse d’un passé qu’on est heureux d’avoir enfin pu rendre obsolète.
Ça demande des efforts, c’est certain, mais qu’on vienne pas me faire chier en disant qu’on aime sa culture parce qu’une fois tous les cinq ans on vient jouer de la trompette dans une rue pleine d’anglophones qui regardent avec un mélange de mépris et d’amusement ces personnes qui ne sont Acadiennes que pour impressionner les invités. Ce genre de parade n’a jamais sauvé de langues ou de cultures et ce n’est certainement pas un couple de francophones wannabe anglos qui me donneront tort.
Et c’est pas en enterrant sa tête dans le sable, en faisant semblant que tout va bien, que la situation va changer. En fait vous savez quoi? Les colonisateurs adorent quand vous faites ça, quand vous faites semblant que la situation est super, que le taux de 50% d’assimilation par génération n’existe pas. Ça leur rend service. Ça les aide à faire passer ceux qui tirent la sonnette d’alarme et qui parlent de gestes concrets pour des illuminés. Ils vous serreraient presque la main si votre origine ne les dégoûtait pas.
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