Ma culture ne vous doit pas d'être rentable

Quand la rentrée arrive, beaucoup d'enseignants et d'activistes impliqués dans la défense des langues minorisées attendent que tombe le couperet budgétaire. Tous craignent que leur classe ferme, que leurs élèves ne puissent même pas apprendre la langue qui leur a été volée. Mais pourquoi est-ce qu'une langue qui a été volée à ses locuteurs devrait-elle être rentable pour son bourreau? De quel droit exige-t-on des profits de ceux qui ont presque tout perdu?

Fred Arnaud

10/19/20244 min read

Le mois passé c’était la rentrée. La rentrée c’est la panique pour les profs, la sentence pour les élèves et le retour du calme pour les parents. Mais quand on est impliqué dans la lutte pour les langues minorisées, la rentrée ça vient aussi avec son lot de peurs, de frustrations et de mauvaises nouvelles.

Se faire arracher les ailes, une classe à la fois

Cette année, ça a l’air que c’est au tour du breton de subir la guillotine. D’abord une classe de 6e a été « mise en sommeil » de la même façon qu’on endort les chiens, doucement, en prétendant qu’il ne s’agit que d’un long repos consensuel. Enfin, ça devait pas être si consensuel que ça si cette décision a été accompagnée par une trentaine de parents militant devant l’école, demandant au rectorat de revenir sur sa décision et de laisser ces cinq enfants apprendre une langue qui était la leur avant que l’État décide de leur arracher.

Après ça, j’ai vu que le département des Côtes-d’Armor voulait fermer une bibliothèque dédiée à la langue bretonne. Après tout, ça coûte de l’argent tout ça, et ça ne profite qu’à quelques Bretons. Et ensuite apparaît un article sur les difficultés du réseau Diwan, vous savez, ce réseau qui est à l’origine des écoles, collèges et lycées qui font vivre la langue bretonne. Encore une fois, vous devinez le problème principal? Ben oui, le pognon encore une fois. Les écoles Diwan, comme les Calandretas et les Ikastolas doivent faire avec moins de ressources, elles doivent être imaginatives et sacrifient un peu la santé mentale de ceux qui leur sont fidèles au passage. Tout ça avec la seule motivation de faire vivre une langue, une culture. À chaque année, on ferme des classes, on supprime des ressources et on massacre un peu plus le budget de ces établissements.

Et pourquoi donc?

Pourquoi? Parce que ce n’est pas rentable? Parce que 5 élèves qui veulent apprendre leur langue, 37 personnes qui veulent lire en breton ou un réseau fort de 4 014 élèves et d’innombrables parents, profs et bénévoles, c’est pas rentable, c’est pas assez. Il faudrait peut-être que les Bretons aient honte que leur culture ne soit pas rentable, qu’elle n’attire pas des millions d’enfants dans ses rangs? Mais ce serait oublier ce que le peuple breton a dû vivre ce dernier siècle. Une assimilation pure et dure dont l’efficacité et le sadisme feraient rougir plusieurs dictateurs avides d’uniformité nette. La vache, la vergonha, le symbole. Tous ces mots presque pudiques pour parler de broyer des enfants, de les humilier et de leur faire regretter jusqu’à leur naissance. Pendant des décennies l’État français n’a eu de cesse de vouloir nous éradiquer, nous, ceux qui parlent pas comme il faut. Ceux qui vivent avec des traditions différentes, ceux qui ne sont pas compatibles avec la Constitution : « La langue de la République est le français ».

Parce que faut pas se voiler la face, quand la Constitution dit que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Vous avez remarqué qu’il est écrit qu’elle respecte toutes les croyances, pas toutes les langues et surtout, pas tous les peuples? Pour eux l’égalité c’est de frapper également tous ceux qui parlent autre chose que le français dans une école établie sur des terres où le français est une langue étrangère.

Arrêtez de faire semblant, Madame la République

Il faudrait un jour que l’État français, tout comme les autres États qui utilisent les mêmes stratagèmes linguicides, arrête de prétendre en avoir quoique ce soit à foutre des peuples qui ont donné leur sang pour qu’il existe. Il faudrait que l’État français admette que son souhait est resté le même depuis la Révolution : uniformiser et anéantir tous ces patois nauséabonds qui entachent cette illusion qu’est l’existence d’un peuple français uniforme de Calais à Montpellier et de Brest à Strasbourg. Le peuple français tant idéalisé existe, il est à Orléans, Paris ou Tours. Le reste? Des peuples annexés, soumis et peu à peu déchus de leur langue à qui on reproche encore la moindre trace d’accent, la moindre volonté de célébrer une quelconque différence.

Alors oui, ça se peut qu’on soit pas rentables, mais on a le mérite d’être encore en vie malgré toutes les saloperies d’un des empires les plus puissants de la planète. Et je me mets à sa place à cet Empire, ça doit être gossant de mettre autant d’effort dans l’annihilation d’un peuple et de voir encore quelques ti-culs s’inscrire en filière bilingue en breton en 2024. De voir que malgré les sévices, y’a encore des impertinents qui dédient leur vie à ces langues pas rentables.

Mais il serait peut-être temps que cet État qui prétend nous aimer, ou du moins nous tolérer, répare ce qu’il nous a fait, ce qu’il a fait à nos parents, nos grands-parents et à tous ceux qui les ont précédés. Il serait peut-être temps que cet État, construit sur notre dos, arrête de nous parler d’argent quand on lui parle de survie. Qu’il arrête de parler de retour sur investissement quand on lui parle d’Histoire. Qu’il paie la note, se taise et prie que tous ces peuples lui pardonnent ce qu’il leur a fait.